15/12/2011

Intervention au Parlement jurasssien, 23.11.11

L'initiative populaire "La nourriture d'abord!" est tout à fait d'actualité. Les médias suisses-romands consacrent justement le 23 novembre à une journée spéciale sur la sécurité alimentaire.
D'autre part, la prochaine campagne d'Action de carême et de Pain Pour le Prochain est axée sur le droit à l'alimentation. Elle insiste sur les méfaits des agrocarburants. Au 21e siècle, près d'un milliard de personnes dans le monde souffrent de malnutrition et de faim. C'est un scandale dénoncé à tous les niveaux.
L'initiative «La nourriture d'abord !» doit être validée. Pour quelles raisons ?
L’initiative respecte le principe d’unité de matière.
L’initiative respecte le principe d’exécutabilité.
L’initiative défend un intérêt public prépondérant et par là respecte le droit supérieur.
L'initiative est conforme à l'esprit de la Constitution jurassienne.

La liberté de commerce n'est pas absolue, elle peut être restreinte dans certaines conditions.
Le droit fédéral stipule que toute restriction doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui. Et ce droit fondamental, cet intérêt public, Mesdames et Messieurs, c'est le droit à l'alimentation.
L'initiative ne viole pas le droit supérieur, en particulier la liberté de commerce évoquée par le gvt.
Elle défend l'intérêt général en exigeant un moratoire, qui permettra de mieux connaître les effets à long terme de la culture des plantes énergétiques. Et le Jura pourrait être précurseur !

Pour les initiants, l'intérêt public prépondérant demande d'interdire toute production d'agrocarburants produits à partir de végétaux cultivés dans ce seul but.
Pourquoi ?
La culture de plantes alimentaires pour en faire des agrocarburants aggrave la faim dans le monde.
Les agrocarburants ne contribuent pas au développement, bien au contraire, ils aggravent la pauvreté.
Ils menacent les forêts tropicales et la biodiversité, ils gaspillent l'eau potable.
Ils ne contribuent pas à la lutte contre le réchauffement climatique.
Peut-on défendre la liberté de commerce quand, en l'occurrence, elle peut causer la mort de millions de personnes ?
L'iniiative demande une minime restriction de cette liberté de commerce, dans un intérêt public incontestable, la sauvegarde du droit à l'alimentation.
Elle est exécutable. Elle renforce la législation fédérale dans le domaine des agrocarburants, elle ne la viole pas. Cette législation est en voie de révision, avec des critères plus sévères pour l'importation et pour la défiscalisation des agrocarburants. Notre initiative va dans le sens du droit fédéral, elle le précède même.

Les cantons ont la compétence de légiférer dans des domaines régis par le droit fédéral, quand ils ne contredisent pas le sens ou l'esprit du droit fédéral, ou qu'un intérêt public pertinent le justifie.
Le Jura légifère déjà dans des domaines qui relèvent du droit fédéral.

Les lois cantonales jurassiennes admettent certaines restrictions à la liberté de commerce. Deux exemples:
- l'heure de fermeture des établissements de divertissement,
- l'interdiction de vendre des plantes envahissantes dans la Loi sur la protection de la nature et du paysage.
Autres exemples: l'interdiction de la fumée dans les établissements publics ; l'interdiction de la vente d'alcool et de tabac aux enfants, etc. Dans la même veine, le moratoire de facto sur les éoliennes, décidé par le gouvernement.
Et pourtant ces restrictions à la liberté de commerce sont compatibles avec le droit supérieur, semble-t-il.

L'initiative «La nourriture d'abord !» s'inscrit parfaitement dans la volonté exprimée par le peuple jurassien à l'article 4 de sa Constitution, qui dit que «le Jura est ouvert au monde», et à l'article 53, qui appelle à œuvrer pour le bien-être et le développement des peuples défavorisés.
L'initiative reflète la préoccupation pour la sécurité alimentaire mondiale, l'esprit d'ouverture et de solidarité avec les peuples défavorisés voulu par les constituants et approuvé par le peuple.
Par son volet écologique et social, l'initiative veut réaliser les exigences du développement durable, précisées à l'art. 44a de la Constitution, récemment approuvé en votation populaire par 85% des votants.
La mise en pratique de ces dispositions généreuses et novatrices de notre Constitution mérite bien une petite entorse à la liberté de commerce.

Mesdames et Messieurs,
Invalider une initiative est une décision grave.
2262 personnes ont signé notre initiative. Les signatures ont été recueillies très rapidement, en quelques semaines. Les signataires ont souvent exprimé leur volonté de ne pas être complices de la destruction des forêts tropicales, de l'appauvrissement des populations locales brésiliennes et de l'aggravation de la sous-alimentation dans le monde.
Refuser l'expression de la volonté populaire doit rester une mesure exceptionnelle, qu'on ne peut justifier par du formalisme juridique.
Le respect de l'inviolabilité du droit de vote exige, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, que l'autorité qui se prononce sur la validité matérielle d'une initiative interprète cette dernière dans le sens le plus favorable aux initiants.
Toujours selon le Tribunal fédéral, une initiative doit être déclarée recevable et soumise au vote populaire, si rien ne permet de la déclarer comme étant manifestement et indubitablement inexécutable. L'interprétation conforme doit permettre d'éviter autant que possible les déclarations d'invalidité, conformément à l'adage «in dubio pro populo».
En outre, le principe général de la proportionnalité veut que l'intervention étatique porte l'atteinte la plus restreinte possible aux droits des citoyens, et que les décisions d'invalidation soient autant que possible limitées, en retenant la solution la plus favorable aux initiants.

Une dernière remarque: Le gouvernement fonde l'arrêté d'invalidation sur l'art. 90, al. 1 de la loi sur les droits politiques, qui prescrit qu'une initiative est traitée par le parlement dans les 6 mois. Déposée le 9 juillet 2010, elle devait être traitée en janvier 2011. Ce délai a été largement dépassé. Pour agender le traitement de l'initiative, on n'a pas été aussi légaliste que pour recommander son invalidation.

L'initiative, je le répète, poursuit des buts d'intérêt public prépondérant et des exigences éthiques fondamentales. Ces buts répondent aux critères d'exception du droit supérieur. L'initiative s'inscrit dans l'esprit de notre constitution. Elle procède d'une volonté populaire. Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de refuser l'invalidation de l'initiative «La nourriture d'abord !»

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