Office fédéral de l'environnement
Division Economie et observation de l'environnement
3003 Berne
Berne, le 20 janvier 2011
Initiative parlementaire Agrocarburants. Prise en compte des effets indirects.
Avant-projet de modification des lois sur l'imposition des huiles minérales et sur la protection de l'environnement
(pour les détails sur la consultation)
Réponse de SWISSAID à la consultation
Cher Monsieur Bourgeois,
Mesdames et Messieurs,
Nous vous remercions de nous donner l'occasion de prendre position sur ce projet législatif, ce que nous faisons avec plaisir. Notre position est fondée sur les expériences et connaissances tirées de notre travail dans le domaine du développement rural et de l'agriculture dans différents pays en développement, de même que sur notre participation active au débat international et national sur cette problématique.
SWISSAID salue ce projet de modification de la loi sur l'imposition des huiles minérales et de la loi sur la protection de l'environnement. Un renforcement des critères d'homologation des agrocarburants et agrocombustibles est nécessaire et urgent, comme le confirme la pétition « Non aux agrocarburants, cause de famine et de destruction de l'environnement », signée à ce jour par plus de 58'000 personnes. Tout en allant dans la bonne direction, le projet présenté comporte encore d'importantes lacunes, que nous exposons ci-après.
1. Remarques sur le projet législatif
ο SWISSAID prend connaissance avec satisfaction de la volonté d'inscrire au niveau de la loi des dispositions actuellement fixées dans des ordonnances. Mais il ne doit en aucun cas en résulter un affaiblissement des exigences en vigueur. Toutefois, la préoccupation première, qui est de prendre en compte les effets indirects de la production d'agrocarburants, n'en est pas pour autant pleinement satisfaite.
ο SWISSAID se félicite de ce que le projet présenté oblige le Conseil fédéral à édicter des critères d'autorisation dès l'instant que sont mis sur le marché « en grandes quantités » des agrocarburants et agrocombustibles ne répondant pas à des critères écologiques et sociaux précis. Le projet prend ainsi en considération une des demandes de l'initiative parlementaire. La proposition de la minorité de transformer cette obligation en une compétence (formulation potestative) doit donc être rejetée catégoriquement. Tout en saluant ce projet, nous tenons à signaler qu'à notre avis, les concepts qui y sont exposés demeurent vagues et que, dès lors, la problématique de la hausse des prix des aliments due à la concurrence pour l'utilisation des terres n'y est pas traitée avec la clarté nécessaire.
ο Le projet présenté ne répond pas concrètement à ce que demande l'initiative parlementaire, à savoir intégrer les effets indirects de la production d'agrocarburants dans le catalogue de critères de défiscalisation et d'homologation. Or, de nouvelles études menées au sein de l'UE mettent précisément en évidence le fort impact des effets indirects (1). Selon celle-ci, la plupart des agrocarburants présentent, si l'on prend en compte leurs effets indirects, un bilan climatique nettement plus mauvais que les carburants fossiles. SWISSAID prie la CEATE d'intégrer dans le projet législatif des critères qui tiennent compte de l'impact climatique supplémentaire dû aux effets indirects sur le changement d'affectation des terres.
ο Qui plus est, les changements indirects d'affectation des terres entraînent la destruction de forêts tropicales, de savanes et d'autres écosystèmes de grande valeur, abritant une énorme diversité animale et végétale. Une évolution que l'on peut déjà observer au Brésil, plus gros producteur mondial d'éthanol avec les Etats-Unis. Au Brésil, la culture de canne à sucre compromet d'autres secteurs agricoles. En particulier, l'élevage de bétail dans la forêt pluviale d'Amazonie, ainsi que les cerrados (savanes tropicales), sont menacées. D'après des estimations, l'élevage de bétail est responsable de 80% de toute la déforestation (2). SWISSAID propose par conséquent d'introduire un nouveau critère en vertu duquel les matières premières cultivées sur des surfaces auparavant utilisées pour la production alimentaire, ne peuvent être en Suisse ni autorisées ni favorisées fiscalement.
ο Le projet présenté ne fournit pas non plus de réponse contraignante en ce qui concerne la pression exercée sur la production alimentaire par le boom des agrocarburants, les hausses de prix des aliments que ce boom entraîne et la détérioration de la sécurité alimentaire qui en découle. Si, au vu de la complexité du problème et en raison de dispositions de droit commercial, le Parlement renonce à un moratoire, il faut au moins que les critères de protection de la sécurité alimentaire soient fixés de manière plus impérative. SWISSAID demande donc à la CEATE d'obliger le Conseil fédéral, dans le cadre de ce projet, d'introduire des exigences supplémentaires garantissant que la production d'agrocarburants et d'agrocombustibles ne se fasse pas au détriment de la sécurité alimentaire.
ο Le droit à l'alimentation est un droit humain ancré dans le droit international. Il doit donc primer sur les engagements commerciaux. Le rapport de l'OFEV, en revanche, ne cesse de faire référence aux restrictions de la marge de manœuvre politique ou législative imposées par les engagements internationaux de la Suisse en matière commerciale.
ο L'initiative parlementaire réclame l'élaboration de dispositions légales expressément applicables aussi aux matières premières utilisées pour la production d'agrocarburants en Suisse. SWISSAID soutient donc la proposition de la minorité en faveur de l'art. 12bbis, qui vise à imposer fiscalement la fabrication d'agrocarburants issus de matières premières produites dans des conditions non durables, même si les produits finaux sont destinés à l'exportation.
ο Nous ne comprenons pas pourquoi la mise en œuvre de cette révision législative devait nécessiter une augmentation de la dotation en ressources humaines et financières. Etant donné que, dans la phase 1, presque rien ne changera par rapport aux tâches actuelles d'exécution, nous nous demandons si la mention de charges supplémentaires en personnel n'est pas là pour empêcher l'acceptation du projet. L'obligation d'examiner les requêtes fait d'ores et déjà partie du cahier des charges des autorités et ne peut justifier cette dotation accrue.
2. Développements récents soulignant la pertinence de ce projet législatif
L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'OCDE considèrent que la production d'agrocarburants fera plus que doubler d'ici à 2019. Les agrocarburants tirés du maïs, de la canne à sucre, de l'huile de palme et du soja continueront de s'y tailler la part du lion. D'après les prévisions, les trois quarts environ des agrocarburants seront produits à partir de ces matières premières (3). Aujourd'hui déjà, la culture de ces végétaux est responsable du déboisement de forêts pluviales tropicales, d'une destruction de l'environnement et d'un recul de la biodiversité, d'expulsions par la force et de conflits fonciers, ainsi que d'une aggravation de la faim et de la pauvreté. En outre, la plupart des agrocarburants sont même plus dommageables au climat que les carburants fossiles.
En particulier, la concurrence entre production d'aliments et production d'agrocarburants, inévitable pour ce qui est des terres agricoles fertiles, de l'eau et de l'énergie, représente une grave menace pour la sécurité alimentaire mondiale. Selon des rapports de la Banque mondiale, de la FAO et de l'OCDE, la crise de la faim de 2008 et les hausses de prix des aliments, actuelles et futures, sont imputables aussi à l'expansion de la production d'agrocarburants (4). De même, l'inquiétant développement du « landgrabbing » (accaparement de terres) est étroitement lié à la production d'agrocarburants. Il en existe d'ailleurs un exemple qui concerne une entreprise suisse. La société Addax Bioenergie a pris à bail 50'000 hectares de terres en Sierra Leone afin d'y produire de l'éthanol à partir de canne à sucre (5). On estime qu'en Afrique, un tiers des terres cultivables prises à bail par des entreprises ou gouvernements étrangers (environ cinq millions d'hectares au total) sont destinées à être utilisées pour produire des agrocarburants pour l'exportation (6).
Cette menace qui pèse sur la sécurité alimentaire, tout particulièrement dans les pays pauvres, est reconnue tant par les organisations onusiennes que par des experts, et elle est perçue par la population, comme en témoigne, outre un grand nombre d'études et de rapports, la pétition « Non aux agrocarburants, cause de famine et de destruction de l'environnement » (7), qui a recueilli à ce jour plus de 58'000 signatures.
Au vu de son expérience de terrain, SWISSAID juge important, pour l'élaboration de ce projet législatif, de se laisser guider moins par les potentiels théoriquement réalisables que par les expériences concrètes et les réalités du marché. L'écart entre théorie et réalité est criant également dans le débat sur l'utilisation du jatropha comme matière première pour la fabrication d'agrodiesel. Une étude publiée dans la revue « Ecological Economics » et consacrée à la viabilité économique et écologique de la production de jatropha pour la fabrication de diesel en Inde, parvient à une conclusion impitoyable : ce végétal ne contribue pas à faire reculer la pauvreté, et sa culture ne profite en rien aux cultivateurs. Au contraire, ceux-ci risquent même de s'appauvrir, les coûts de production étant très élevés pour un rendement faible (8). Néanmoins, on parle encore et toujours, y compris en Suisse, de l'énorme potentiel de cette « plante du désert peu exigeante ». Au Kenya et au Mozambique aussi, la production de jatropha déçoit les cultivateurs, qui s'en détournent (9).
Pour terminer, un mot sur la prise en compte des combustibles dans ce projet législatif. Nous saluons vivement cette extension. Les restrictions envisagées concernant les combustibles seraient, à notre avis, encore plus efficaces si le droit à la rétribution de l'injection de courant tiré de la biomasse était assujetti à la condition selon laquelle aucun combustible liquide ou gazeux ne doit pouvoir être acheté dans des pays où des forêts pluviales sont déboisées.
En vous remerciant de la bienveillante attention que vous réserverez à notre position, nous vous prions de croire, cher Monsieur Bourgeois, Mesdames et Messieurs, à nos sincères sentiments.
SWISSAID
1. Bowyer, Catherine: „Anticipated Indirect Land Use Change Associated with Expanded Use of Biofuels and Bioliquids in the UE – An Analysis of the National Renewable Energy Action Plans.” Institute for European Envoronmental Policy, novembre 2010.
2. « Zuckerrohr und Landnutzungsänderung in Brasilien. » Friends of the Earth Europe, août 2010.
3. OEDC, FAO : Agricultural Outlook 2010, Biofuel production 2010-19. (accès 22.12.2010).
4. « Food prices to rise by up to 40% over next decade, UN report warns », The Guardian, 15 juin 2010 (accès 22.12.2010).
5. « Africa mulls biofuels as land grab fears grow » ; Reuters 30.11.2010 (accès 22.12.2010).
6. « Africa : up for grabs. The scale and impact of land grabbing for agrofuels » ; Friends of the Eartch Europe, juin 2010.
7. http://www.petition-agrotreibstoffe.ch/petition.php?lang=fr
8. Pere Ariza-Montobbio, Sharachchandra Lele : « Jatropha plantations for biodiesel in Tamil Nadu, India : Viability, livelihood trade-offs, and latent conflict. » Ecological Economics 70, 2010.
9. « Reality Check for ‘miracle’ biofuel crop » : Science and Development Network 27.10.2010.
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